Arrêtez-vous un instant sur cette petite place discrète, coincée entre l’effervescence de Bellecour et l’animation de la rue de la République. Sous vos pieds se cachent les fondations d’un ancien hôpital où résonnaient autrefois les prières pour les malades. Au-dessus, le nom gravé sur la plaque rend hommage à l’un des plus grands chirurgiens de Lyon. Cette place minuscule condense à elle seule quatre siècles d’histoire médicale et hospitalière lyonnaise.
XVIe-XIXe siècles : La place de la Charité
L’hôpital qui donna son nom à la place
Avant de porter le nom du célèbre chirurgien, la place était dénommée place de la Charité. Ce nom n’était pas choisi au hasard : il faisait référence à l’hôpital de la Charité qui se dressait ici, du XVIe siècle à 1934.

L’hôpital de la Charité était bien plus qu’un simple établissement de soins. Lyon avait reçu le titre de « ville des aumônes » et de « ville de la Charité », titre qu’elle n’a jamais démenti. Cet hôpital incarnait parfaitement cette vocation caritative de la ville.
1626 : Une chapelle au cœur de l’hôpital
Au cœur de l’hôpital se dressait une chapelle remarquable. Achevée en 1626, elle contenait des sculptures de Perrache, de superbes vitraux sortis en 1890 des ateliers de Lucien Bégule.

Ces vitraux étaient particulièrement émouvants car les scènes qu’ils représentaient retraçaient l’histoire de l’hospice de la Charité, auquel l’église servait de chapelle.
Un tombeau illustre
Cette chapelle abritait une sépulture prestigieuse : celle du cardinal Alphonse de Richelieu, archevêque de Lyon, frère du ministre de Louis XIII.

Le cardinal avait lui-même composé son épitaphe en latin, témoignage touchant de son humilité : « Pauper natus sum, paupertatem vovi, pauper vixi, pauper morior, inter pauperes sepeliri volo » (« Je suis né pauvre, j’ai fait vœu de pauvreté, j’ai vécu pauvre, je meurs pauvre, je veux être enterré parmi les pauvres »).
Une anecdote journalistique étonnante
Savez-vous que cette place est liée à la naissance de la presse lyonnaise ? Le quotidien Le Progrès a vu le jour en 1859. Le premier numéro sous le titre: « Le Progrès, journal de Lyon, politique quotidien » paraît le 12 décembre 1859 dans les ateliers de l’imprimerie Chanoine située dans les sous-sols de la maternité de l’hôpital de la Charité.

Créateur du journal « Le Progrès » en 1859.
Qui aurait imaginé qu’un journal naîtrait dans les sous-sols d’une maternité !
28 mars 1849 : Naissance d’un génie médical
Antonin Poncet : un parcours d’excellence

C’est le 28 mars 1849 à Saint-Trivier-sur-Moignans (Ain) que naît celui qui donnera son nom à la place. Il devint Docteur en médecine en novembre 1876, mais son parcours ne fut pas un long fleuve tranquille.
1876-1879 : Les années de détermination
Le jeune Poncet connaît d’abord un échec. Il se présenta en 1876 au concours de chirurgien-major de la Charité, mais ne fut pas retenu. Mais sa persévérance paye : le 30 juin 1879, il fut reçu au concours de chirurgien-major de l’Hôtel-Dieu, à l’âge de 30 ans.
Ironie de l’histoire : Antonin Poncet n’exerçait pas à l’hôpital de la Charité, mais à l’Hôtel-Dieu ! La place porte donc le nom d’un médecin qui œuvrait dans un autre hôpital que celui qui lui avait donné son premier nom.
Un pionnier de la chirurgie moderne
Antonin Poncet fut un chirurgien et physiopathologiste des Hôpitaux de Lyon, qui a occupé le poste prestigieux de chirurgien-major de l’Hôtel-Dieu de Lyon. Sa spécialité ? Il a été le plus grand médecin de l’Hôtel Dieu de son temps, améliorant la chirurgie urinaire et thyroïdienne. Devenu professeur et chercheur, il a particulièrement étudié les rhumatismes.
Ses résultats opératoires furent très largement influencés par son innovation technique et son souci de l’asepsie, faisant de lui un précurseur de la chirurgie moderne.
29 décembre 1913 : Un hommage mérité
La mort du grand chirurgien
Antonin Poncet meurt le 16 septembre 1913 à 20 heures à Culoz (Ain). Sa disparition émeut tout Lyon, qui perd l’une de ses figures médicales les plus respectées.
Le changement de nom
C’est par délibération du conseil municipal du 29 décembre 1913 que la place change officiellement de nom. Exit la « place de la Charité », bienvenue à la « place Antonin Poncet ». Cet hommage intervient seulement trois mois après la mort du chirurgien, témoignage de l’immense reconnaissance de la ville.
1934 : La fin d’une époque hospitalière
En 1934, l’hôpital de la Charité ferme définitivement ses portes, marquant la fin de quatre siècles de présence hospitalière sur ce site.

La place va alors connaître une nouvelle configuration urbaine, devenant ce petit espace de respiration entre les grands axes de circulation que nous connaissons aujourd’hui.
Un hommage familial
Anecdote émouvante : Pierre Poncet a été arrêté le 9 juillet 1944 au 9 cours Gambetta avec cinq compagnons responsables des jeunes des mouvements unis de résistance, ils ont été fusillés le 12 à Genas. Un membre de la famille Poncet a également marqué l’histoire lyonnaise par son engagement dans la Résistance.
L’héritage d’Antonin Poncet
Le nom de cette place rappelle chaque jour l’excellence médicale lyonnaise. Ce spécialiste de la chirurgie urinaire et thyroïdienne représente cette tradition d’innovation médicale qui fait encore aujourd’hui la renommée des hôpitaux lyonnais.
Réflexion symbolique : Il est remarquable que cette place, qui porta d’abord le nom d’un hôpital (la Charité), porte aujourd’hui celui d’un médecin (Poncet). C’est le passage symbolique de l’institution à l’individu, de la charité collective au génie personnel, tout en conservant la même vocation : honorer ceux qui soignent.
Mémorial lyonnais du génocide arménien

A côté de l’ancien clocher de l’Hôpital de la Charité, se dresse le Mémorial lyonnais du génocide arménien, un ensemble de 36 stèles blanches. À première vue, ce monument séduit par sa sobriété et sa verticalité, mais chaque détail est porteur de sens.
Ces colonnes ne sont pas disposées au hasard : elles suivent la structure d’une partition musicale inspirée d’un chant liturgique arménien de Komitas, figure majeure de la musique arménienne. Les trois rangées de stèles peuvent se lire comme trois portées, la hauteur et l’espacement de chaque colonne évoquant les notes et les silences, tandis que les poèmes et textes gravés sur certaines stèles ajoutent rythme et accentuation.
Le visiteur qui traverse le mémorial devient lui-même un interprète de cette partition symbolique, ressentant visuellement et poétiquement la mémoire des 1,5 million de victimes du génocide arménien. Les stèles vides et celles gravées alternent comme des notes et des silences dans une mélodie muette, créant une expérience immersive où l’art, la mémoire et la musique se rencontrent.
Ainsi, le mémorial n’est pas seulement un hommage : c’est une partition de pierre et de mémoire, un espace où la mémoire des disparus se lit, se traverse et se ressent, invitant chaque passant à devenir acteur de cette mémoire universelle.
Que voir aujourd’hui sur la place Antonin Poncet ?
Une place de transition
Aujourd’hui, la place Antonin Poncet est un espace discret mais stratégique. Située à la jonction entre la place Bellecour et la rue de la République, elle sert de transition douce entre ces deux univers.
Les traces du passé
À observer :
L’emplacement historique de l’ancien hôpital de la Charité
La configuration urbaine qui rappelle encore l’ancienne organisation hospitalière
Les bâtiments du XIXe et XXe siècles qui ont remplacé les structures hospitalières
La plaque portant le nom d’Antonin Poncet
Le Mémorial lyonnais du génocide arménien, un ensemble de 36 stèles blanches qui se dresse à côté de l’ancien clocher. Inspiré d’une partition de Komitas, chaque stèle symbolise une note, certaines portant des poèmes ou textes, créant une « mélodie muette » où mémoire et poésie se rejoignent.
L’architecture contemporaine des bâtiments bordant la place. Cette architecture contemporaine a remplacé les anciens bâtiments de soins, mais la vocation de service public perdure avec la présence de l’Hôtel des Postes à proximité.
Ainsi, en traversant cette petite place discrète, vous marchez sur les traces de quatre siècles de médecine lyonnaise et de mémoire universelle : des prières pour les malades de l’hôpital de la Charité aux innovations chirurgicales d’Antonin Poncet, en passant par le mémorial arménien qui invite à se souvenir et à réfléchir, cette place minuscule concentre l’essence même de Lyon, ville hospitalière et engagée.


